Le marché du carbone a une cible dans le dos

Billet de Jean Nolet, économiste spécialiste des marchés du carbone et directeur général de Coop Carbone

C’est quand même particulier, alors qu’en Californie, il y a quelques semaines, lors d’une conférence réunissant le gratin de la lutte aux changements climatiques, on faisait le constat que là où ils sont mis en œuvre les marchés du carbone fonctionnent, ici, au Canada et au Québec, on ne cesse de faire leur procès.

D’un côté, il y a Pierre Poilièvre qui s’étouffe dès qu’il entend le mot taxe et qui fait une crise d’apoplexie si on y ajoute le mot « carbone »; de l’autre, on reproche au marché, comme dans un éditorial du 13 avril dans la Presse, de générer un prix trop faible pour permettre l’atteinte des objectifs que le Québec s’est donné pour 2030.

Dans son argumentaire, Stéphanie Grammond indique qu’il y a une surabondance d’allocations dans le marché qui engendre un prix trop bas pour les droits d’émission pour que notre objectif de réduction de 37,5% sous le niveau de 1990 puisse être atteint. L’idée étant qu’un prix plus élevé engendrerait des modifications de comportement plus importantes nous permettant ensuite d’atteindre cet objectif. Mme Grammond s’inquiète, par ailleurs, d’une augmentation rapide des prix qui sera rendue nécessaire après 2030 pour reprendre le temps perdu et elle compare les prix québécois (58$) qu’elle trouve trop bas comparés à la taxe fédérale établie à 80$/tonne de CO2.

La question soulevée est complexe, mais on peut commencer par souligner que jusqu’au 1er avril dernier, la taxe fédérale s’établissait à 65$/tonne, pas très loin du prix des droits d’émission vendus au Québec et en Californie. On pourrait ajouter que le prix des droits d’émission a augmenté de 50% au Québec entre février 2023 et février 2024. Ce n’est pas rien. Par ailleurs, on pourrait chipoter sur l’intérêt d’une taxe par rapport à la mise en place d’un plafond et d’un marché. Il faudrait alors mettre de l’avant le fait que l’approche québécoise a justement comme principal intérêt de garantir l’atteinte du résultat au juste prix par rapport à une approche fédérale au résultat plus incertain. Mais dans le fond, on s’entend sur le fond : Il faut mettre un prix sur les émissions de GES pour inciter les gens et les entreprises à moins émettre de GES et ce prix doit être suffisamment élevé pour induire des changements de comportement.

Or, jusqu’à maintenant, les chiffres montrent qu’on y arrive. Il faut savoir que depuis 2013 le Québec et la Californie forment ensemble un seul et unique marché du carbone où les droits d’émission peuvent être échangés. Il s’ensuit que pour juger de l’atteinte ou non de nos objectifs, il faut regarder l’évolution des émissions dans les deux juridictions en même temps. Le précédent objectif avait pour échéance l’année 2020. C’est ici que ça devient intéressant, car l’examen des deux inventaires cumulés montre qu’ensemble le Québec et la Californie ont atteint leurs objectifs. On peut donc croire que la mécanique fonctionne et espérer que l’objectif de 2030 soit également atteint.

Mme Grammond a raison, il y a eu une surallocation de droits d’émission au démarrage du marché. C’était nécessaire pour faire passer la pilule auprès des industries qui allaient être touchées. Mais aujourd’hui, les effets du plafond sur les émissions se font sentir. Les surplus alloués dans le passé permettent justement de faciliter la transition et feront sans doute en sorte que les prix ne monteront pas de façon trop abrupte après 2030 comme le redoute Mme Grammond.

Le succès rencontré par le Québec et la Californie explique en bonne partie pourquoi l’état de Washington a créé son propre marché en 2023 et que cette année un marché similaire a été inauguré dans l’état de New York. Si on nous imite, c’est probablement parce que le marché du carbone québécois n’est pas dans le champ autant que certains le croient.

JN

 

Pour aller plus loin :

Ne manquez pas le panel dédié à la taxation et aux marchés carbone lors de notre événement annuel, Forum Carbone, le 23 mai prochain.

Industries : Les taxes et les marchés carbone fonctionnent-ils réellement ?

Explorez les mécanismes de la tarification du carbone et les marchés carbone. Ce panel plongera dans l’efficacité de ces outils économiques dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en s’appuyant sur des études de cas et des données récentes.

Événement gratuit, inscription obligatoire dans la limite des places disponibles

 

 

Photo de couverture : George Pagan III sur Unsplash