Vers une agriculture carbone durable :
Les enseignements du deuxième atelier collaboratif AgroCarbone Grandes Cultures

La démarche AgroCarbone Grandes Cultures, portée par Coop Carbone et ses partenaires  Sollio Agriculture, Desjardins et Lallemand Plant Care, vise à développer des modèles d’affaires pour les producteurs agricoles québécois en proposant des solutions adaptées aux changements climatiques pour réduire les émissions de GES, favoriser la séquestration du carbone et offrir un levier économique pour assurer cette transition.

Le 23 octobre dernier, les partenaires experts (coopératives agricoles, scientifiques, chercheurs, représentants du gouvernement) de la démarche se sont réunis à Saint-Hyacinthe pour le deuxième atelier collaboratif.

Sous la thématique de l’agriculture carbone, les partenaires experts ont exploré, en sous-groupes, ce qu’il manque à l’écosystème québécois pour mettre en place l’agriculture carbone au Québec.

L’état des connaissances en agriculture carbone

L’agriculture carbone, plus connue sous sa formulation anglophone de Carbon Farming, est un concept relativement récent au Québec. Il repose sur les marchés du carbone pour mettre en place des pratiques fondées sur la nature. Afin d’éclaircir la discussion, l’équipe de la Coop Carbone a détaillé l’état des connaissances actuelles en matière d’agriculture carbone, et a dressé un état des lieux des initiatives porteuses à travers le monde.

Tour d’horizon des initiatives locales et internationales

L’intégration du secteur agricole dans les marchés du carbone réglementés est un sujet émergent au Québec, au Canada, et à l’international.

  • Au Québec : Le cadre réglementaire actuel, régi par le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE), ne reconnaît actuellement que les projets de boisement et de reboisement sur des terrains privés pour l’obtention de crédits compensatoires. Toutefois, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) adopte une position encourageante, permettant potentiellement aux projets agroforestiers d’être éligibles à ce règlement sous certaines conditions.
  • Au Canada : Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) développe un protocole de crédits compensatoires spécifiquement adapté au secteur agricole, visant à soutenir financièrement les pratiques pour l’augmentation de la matière organique des sols agricoles qui vont au-delà des pratiques habituelles.
  • En France : En France, le Label Bas Carbone a été créé en 2018 par le ministère de la transition écologique dans le but de reconnaître et de certifier les efforts des producteurs agricoles qui adoptent des pratiques plus durables et respectueuses du climat.
  • En Europe : Le 10 avril 2024, le Parlement européen a adopté un accord provisoire sur le règlement relatif aux absorptions de carbone et à l’agriculture carbone, créant ainsi le premier cadre réglementé à l’échelle de l’Union européenne pour la certification des projets visant la séquestration du carbone et la réduction des émissions de GES.
  • En Australie : Le programme Australian Carbon Credit Unit (ACCU), lancé dès 2011, est un précurseur dans le domaine de la séquestration de carbone, notamment via l’augmentation de la matière organique des sols agricoles. À ce jour, plus de 1 000 projets sont enregistrés dans le registre gouvernemental australien, soutenant la transition vers des pratiques durables.

Les projets de recherche et initiatives sur le terrain au Québec

Au Québec, plusieurs études et projets terrain soutiennent les pratiques d’agriculture durable :

Recherche scientifique :

Depuis les dernières années, plusieurs travaux de recherche ont évalué le potentiel des pratiques d’agriculture durable pour la séquestration du carbone et la réduction des émissions de GES à la ferme.

Parmi ces travaux, l’étude de Drever et al. (2021) met en évidence le potentiel des solutions fondées sur la nature au Canada et au Québec, tandis que le rapport de Samson et al. (2023) présente l’état des connaissances sur la séquestration du carbone dans les sols agricoles québécois. De plus, le projet mené par la professeure Aurélie Harou de l’Université McGill, financé dans le cadre du programme projets émergents du Réseau québécois de recherche en agriculture durable (RQRAD), vise à étudier les obstacles à l’adoption des pratiques agricoles qui séquestrent le carbone et à évaluer comment le marché du carbone réglementé du Québec peut aider à les surmonter.

Initiatives sur le terrain :

Des projets comme Agriclimat, qui a développé un diagnostic à l’échelle de la ferme pour l’adaptation aux changements climatiques, et Terre à Table, avec son projet « Veiller au grain pour un avenir durable », soutiennent les producteurs dans l’adoption de pratiques durables.

L’alliance canadienne pour le Net Zéro agroalimentaire (en anglais : Canadian Alliance fort Net-Zero Agri-food [CANZA]) regroupe des acteurs du secteur agroalimentaire pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, incluant des entreprises telles que RBC, Maple Leaf Foods et Nutrien.

Dans le secteur privé, de plus en plus d’entreprises offrent des services en lien avec la transition climatique et une rémunération aux producteurs agricoles pour la compensation carbone. En collaboration avec General Mills et Regeneration Canada, Logiag développe un service de transition climatique et de « profit carbone » pour les producteurs agricoles québécois basé sur le marché volontaire et la compensation à l’intérieur de la chaîne de valeur agroalimentaire.

D’une certaine manière, la démarche AgroCarbone Grandes Cultures, initiée en mai 2023 par Coop Carbone en partenariat avec Sollio Agriculture, Lallemand Plant Care et Desjardins, s’inscrit dans ces initiatives, en développant des modèles d’affaires qui visent à stimuler les meilleures pratiques agricoles pour réduire les émissions de GES et favoriser la séquestration du carbone.

 

Les constats de l’atelier collaboratif

Lors de l’atelier, plusieurs points cruciaux ont été discutés pour développer un cadre favorable à l’agriculture carbone au Québec. Cet atelier s’est appuyé sur les avancées de la démarche AgroCarbone Grandes Cultures, notamment grâce au partage des résultats du sondage réalisé au printemps dernier auprès des producteurs agricoles. Ces résultats ont apporté des éléments supplémentaires pour affiner le modèle d’un programme d’agriculture carbone au Québec et planifier sa mise en œuvre. Les points suivants résument les retours des producteurs et les réflexions des partenaires experts.

Rémunération des producteurs agricoles

Comment rémunérer justement les agriculteurs pour leurs efforts en faveur de l’environnement ? Quels types de soutien seraient les plus efficaces ? Plusieurs idées ont été avancées :

  • Rétribution publique ou subventions.
  • Création d’un label spécifique pour valoriser les pratiques durables et augmenter la visibilité des efforts environnementaux des producteurs.
  • Programmes de ristourne pour l’adoption de bonnes pratiques, basés sur des indicateurs de performance environnementale.
  • Soutien financier accru par des programmes gouvernementaux et privés pour encourager les pratiques innovantes.

Compétences et ressources pour les mesures d’amélioration

Quelles ressources sont nécessaires pour soutenir l’adoption des pratiques carbone ? Malgré les compétences du Québec en matière de mesure et de gestion des données, il manque des ressources opérationnelles, des formations spécialisées, ainsi qu’une standardisation des méthodes pour encourager l’adoption de pratiques carbone.

  • Ressources financières et humaines : Manque de ressources financières et de personnel qualifié pour la mise en œuvre efficace des mesures de séquestration du carbone.
  • Standardisation : Besoin d’harmoniser les méthodes de mesure et de collecte de données pour garantir une approche uniforme et fiable à l’échelle provinciale.
  • Accès aux technologies : Encourager l’accès à des technologies abordables et des équipements de mesure performants pour faciliter la quantification du carbone.

Acteurs de confiance et standardisation

Comment garantir la crédibilité et l’efficacité des crédits carbone ? Les participants ont souligné l’importance d’établir un standard unique pour l’attribution de crédits compensatoires, avec un cadre de vérification indépendant et transparent. Cela permettrait d’améliorer la crédibilité des projets et de renforcer la confiance des producteurs agricoles et des investisseurs.

  • Rôle des coopératives : Impliquer les coopératives agricoles dans le développement de l’agriculture carbone pour mieux relayer les besoins des producteurs.
  • Vérification indépendante : S’assurer que la vérification soit effectuée par des organismes indépendants afin de maintenir la transparence et éviter les conflits d’intérêts.

Protocoles de quantification

Comment développer des protocoles adaptés aux réalités locales ? Le développement des protocoles de quantification devrait se faire en collaboration entre le gouvernement, des entités scientifiques et des acteurs privés pour garantir rigueur et crédibilité.

  • Co-création des protocoles : Associer les universités, les chercheurs et les producteurs à la création de protocoles adaptés aux réalités québécoises.
  • Innovation technologique : Utiliser des technologies pour faciliter la quantification des réductions d’émissions et de la séquestration du carbone.

Obstacles à l’essor de l’agriculture carbone au Québec

Quels sont les principaux freins à l’essor de l’agriculture carbone au Québec ? Parmi les freins identifiés, les participants ont évoqué :

  • Renforcer la volonté politique : Un engagement affirmé des décideurs politiques est nécessaire pour garantir le soutien structurel et une réelle priorisation de l’agriculture carbone dans les politiques publiques.
  • Élaborer un plan d’actions concret : Un plan détaillé est essentiel pour structurer les efforts et optimiser les interventions sur le terrain.
  • Financer la transition : Augmenter les sources de financement et orienter les aides existantes vers les pratiques durables.
  • Améliorer la coordination : Une meilleure collaboration entre les acteurs agricoles, les institutions de recherche et les partenaires privés peut maximiser les impacts des actions menées.
  • Standardiser la vérification et récompenser les pratiques : Développer une méthodologie claire et une rémunération équitable pour valoriser les efforts des producteurs.

Suite de la démarche : vers le passage à l’action!

Ce deuxième atelier collaboratif a marqué une étape importante dans la démarche AgroCarbone Grandes Cultures. En mettant l’accent sur la collaboration, l’innovation et la mise en œuvre de solutions concrètes, cet événement a jeté les bases d’une agriculture carbone intégrée et durable au Québec. Nous connaissons désormais les enjeux et avons dressé un portrait clair de l’état actuel de l’agriculture carbone au Québec. Il est maintenant temps de passer à l’action en mettant en œuvre les prochaines étapes de la démarche. Cela inclut le développement d’un protocole d’expérimentation qui servira de base pour le lancement des projets pilotes, ainsi que la planification d’une feuille de route pour l’opérationnalisation des premiers projets d’ici mars 2026. Ce plan d’action permettra de consolider les connaissances acquises et de transformer les intentions en actions concrètes, contribuant ainsi à l’avancement de l’agriculture carbone. Nous tenons à remercier tous les participants de l’atelier pour leurs contributions précieuses, ainsi que nos partenaires – Sollio Agriculture, Lallemand Plant Care et Desjardins – pour leur engagement et leur soutien continu, qui sont essentiels à la réussite de cette initiative.

En savoir plus sur la démarche AgroCarbone Grandes Cultures